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Des Cowboys au jardin d'agrément, Lena Schneider, Potsdamer Neueste Nachrichten 14.05.2010

Sur l'ile de l'amitié : Martine Pisani investit l'espace public avec "as far as the eye can hear"

Un choix courageux de la Fabrik : programmer un spectacle en plein air en ce mois de mai au climat peu engageant. D'autant plus courageux que la première représentation coïncidait avec un jour férié, l'ascension, aujourd'hui plutôt prétexte à une grande beuverie annuelle. Cette simultanéité était-elle voulue ? C'est peut-être dans le but d'observer comment la danse contemporaine internationale s'accorde avec la nouvelle culture festive allemande* passez-moi l'expression, quand les deux ont lieu sur le même espace public, comme nous en avons été témoins sur l'ile de l'amitié. Cette rencontre, qu'elle soit fortuite ou calculée, est déjà remarquable par sa rareté. Car ceux qui s'intéressent à l'une n'ont en général que faire de l'autre. Et inversement. Volontairement ou non, Martine Pisani n'a laissé le choix à personne, qu'il s'agisse des amateurs de danse contemporaine ou des buveurs. Un groupe de jeunes hommes, installés pour l'occasion sur l'ile, célébrant leur virilité à grand renfort de caisses de bière, durent s'accommoder des dérangements causés par les déplacements étranges et excessifs des danseurs de Pisani sur leur terrain.

D'autre part, les spectateurs des Tanztage ne pouvaient faire abstraction de la présence des amateurs de bière, ces derniers défendant avec acharnement leur territoire à côté de la tribune improvisée. L'éventail culturel et, par conséquent, social de la ville fut rarement mis en évidence avec une telle acuité. C'est tout simplement grandiose que la danse contemporaine, que beaucoup tiennent pour un art élitaire et éloigné de la réalité, permette justement cette rencontre. Et le plus impressionnant dans le travail de Martine Pisani est qu'elle n'a jamais l'air de vouloir impressionner son public. C'était déjà le cas dans Hors sujet ou le bel ici en 2007 ou one shared object PROFIT AND LOSS pendant les Tanztage de 2009. Son travail n'a pas grand chose en commun avec la danse classique.

De même dans as far as the eye can hear, la danse apparait avant tout dans le détournement des gestes du quotidien : les danseurs bondissent au ralenti, décomposent le mouvement du footing, se serrent la main à s'en détacher les bras, marchent et courent sans motif apparent. C'est de leur détermination que naît l'effet comique. Ils ont toujours l'air de savoir exactement ce qu'ils font, même quand leurs motivations restent énigmatiques au public. Pourquoi en effet dérouler un film plastique sur toute sa longueur en travers de la pelouse, lentement, sûrement, avec aplomb et sans but ? Parce qu'il le faut ! C'est justement dans un contexte aussi étranger à l'art que l'ile de l'amitié que ces interrogations et ces incertitudes nous font du bien. Elles introduisent de la nouveauté dans ce que nous connaissons déjà et en changent notre perception.

Etonnés, dépaysés et surtout curieux, les promeneurs regardent Nilo Gallego, Theo Kooijman et Ludovic Rivière s'approprier le jardin botanique, le parcourant en bonds et virevoltes. A un moment donné, on voit ces derniers s'éloigner du public en paradant, debout, le regard fixé sur l'horizon, puis marcher sur les genoux et enfin s'aplatir sur le sol, comme pour rapetisser, ça ressemble à la dernière séquence d'un western spaghetti. Voici les cowboys du jardin d'agrément, la pelouse est leur pampa. Ils partent à la conquête de l'ouest, avec le Grand-Pont de Potsdam en arrière-plan. L'espace dansé n'est pas séparé du reste du parc. Ainsi, les nouveaux promeneurs se retrouvent sans cesse protagonistes malgré eux, et l'espace public, que Martine Pisani utilise comme décor, devient le sujet de la pièce. La chorégraphe n'a ni le pouvoir, ni la volonté d'exclure la ville de sa pièce. Aussi bien les bruits (sirènes, enfants, klaxons) que les passants s'associent à la danse.

D'après le programme, Martine Pisani s'intéresse dans as far as the eye can hear à la manifestation du temps au travers du climat et du paysage. Mais il est presque plus intéressant encore de voir comment un mouvement étranger s'inscrit dans la ville et inversement, comment Potsdam et ses habitants trouvent leur place dans la danse. La réaction de certains badauds - interpellations, applaudissements prématurés et autres perturbations - n'était qu'une des réponses à ces questions, Martine Pisani l'a déjà démontré.

 

* Le "herrentag", littéralement le jour des messieurs, est fêté dans la région de Berlin depuis le XIXème siècle. Les jeunes hommes y sont initiés aux mœurs masculines immorales par leurs anciens au cours d'une randonnée bien arrosée.

 

Article traduit de l'allemand par Suzanne Viot

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